Depuis quelques mois déjà, plusieurs articles de journaux relatent l’incertitude provoquée par la réforme de l’IVAC adoptée en 2021. Pour tout le positif que celle-ci permet pour les nouvelles personnes devenues admissibles à l’IVAC, l’intervenant en santé mentale que je suis ne peut que frémir devant deux choses : plus de formulaires à remplir, et un temps limite pour se rétablir. Avant de lancer le pot, je m’attarderai sur les fleurs.
Pour la liste complète des changements, vous pouvez visiter ce lien : https://www.ivac.qc.ca/a-propos/Pages/loi-aide-retablissement-victimes.aspx
Trois éléments positifs ressortent de cette réforme. Premièrement, la définition de victime aux yeux de la loi a été élargie afin de pouvoir permettre à un plus grand nombre de personnes d’être admissible aux aides financières offertes. De plus, la liste d’infraction admissible a été abolie, permettant à l’ensemble des crimes commis contre la personne de pouvoir bénéficier de l’IVAC.
Le deuxième changement majeur, significatif pour bon nombre de personnes est le retrait des délais qui concernent les infractions liées à des violences sexuelles, de la violence conjugale ou encore de violence subie pendant l’enfance. La réforme prévoit aussi que les victimes de ces crimes ayant essuyé un refus par le passé, à cause des délais, peuvent présenter une nouvelle demande pour leur situation.
Finalement, le troisième changement digne de mention consiste en l’élargissement des professionnels habiletés à offrir du soutien psychosocial aux victimes. C’est en partie ce changement qui permet aux éducateurs spécialisés d’accompagner des mandataires de l’IVAC. En effet, il n’y a pas que les psychologues qui peuvent offrir ce type d’accompagnement. Je reviendrai sur ce point dans une autre publication.
Maintenant, le pot. En guise de préface, voici deux articles parus dans les derniers mois qui présentent les impacts négatifs de la réforme sur les personnes qui en bénéficient déjà :
« Loin d’être rétablies des actes criminels qu’elles ont vécus, elles n’auront plus droit à l’IVAC » : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2081183/victimes-actes-criminels-indemnisation-reforme-quebec
« Limite des prestations de l’IVAC : des victimes laissées dans le noir. » : https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2024-09-07/limite-des-prestations-de-l-ivac/des-victimes-laissees-dans-le-noir.php
Le changement problématique de la réforme ? Il y a désormais une limite de trois ans à une aide financière qui permet de remplacer le revenu d’une personne victime d’une agression. Il est complètement irréaliste de mesurer dans le temps les impacts qu’une agression peut laisser sur une personne. Si une personne qui souffre de dépression sans avoir été victime d’une agression peut avoir besoin de plusieurs mois, voire même années, pour être en mesure de se rétablir, comment est-il possible de quantifier la durée maximale de rétablissement d’une personne vivant avec un choc post-traumatique ?
Le deuxième article présente différents témoignages de victimes. Toutefois, il est dur de réellement retransmettre la détresse qui peut être vécue par une personne ayant été victime d’agression durant son enfance. Tout le monde comprend approximativement ce qu’est un choc post-traumatique sans réellement mesurer l’ampleur du handicap que cela peut représenter dans la vie d’une personne. Cauchemars et insomnies nuit après nuit, états dissociatifs où la personne à l’impression d’être hors d’elle-même, « flashback » où la personne peut littéralement se retrouver dans l’état où elle a vécu son trauma… et j’en passe. C’est sans compter qu’un choc post-traumatique peut s’activer à retardement, des années après les faits. Et dans certains cas il peut aussi se réactiver. Alors que la personne croyait avoir réussi à outrepasser ses difficultés, un élément déclencheur peut provoquer un recul important dans son état de santé mentale.
Trois ans, ce n’est parfois tout simplement pas réaliste. Le gouvernement se défend qu’au bout de trois ans, la personne peut faire une demande pour accéder à un nouveau type de remboursement. En effet, l’incapacité totale temporaire (ITT) a été remplacée par l’aide financière palliant à une perte de revenu (AFPPR) et l’aide financière compensant certaines incapacités (AFCCI). Toutes deux ont une limite maximale de trois ans, consécutive ou non. Dans les deux cas, des formulaires différents que la personne doit remplir, doit faire remplir à son médecin, avant de l’envoyer à l’IVAC et d’attendre pendant des semaines pour savoir si elle sera admissible. Advenant un refus ? Plus de revenu, ou sinon c’est l’aide de dernier recours, qui, clairement, ne permet pas de maintenir un niveau de vie suffisant pour se rétablir dignement d’un choc post-traumatique.
Comment régler cette question ? Je n’ai pas la réponse, malheureusement. Cependant, je crois qu’une forme de modulation des délais au cas par cas pourrait être une piste de solution. Il serait aussi pertinent de laisser le soin aux spécialistes de prendre ce genre de décision. Ce n’est pas à un fonctionnaire du gouvernement de déterminer si une personne est apte ou non à retourner au travail, à reprendre le cours de sa vie. C’est au médecin, au psychiatre, en collaboration avec les professionnels de la santé mentale qui entourent la victime.
Et vous, quelle serait votre solution ?
Comments